Neil Young
Chanteur et guitariste de folk, country et
rock américain, 1969 : né le 12-11-1945 à Toronto, Canada.
Avec Bob Dylan, ce musicien canadien est un des rares artistes
dont on peut dire qu’il a eu plusieurs vies. De Buffalo Springfield à
Crosby, Stills, Nash (& Young) et Crazy Horse, il a suivi un
parcours qui l’a vu traverser tous les styles en restant lui-même. Tour
à tour chanteur de folk enraciné dans la tradition, parolier aiguisé,
rocker, guitar hero, Neil Young est l’un des rares musiciens dont toutes
les productions ont été traversées par une fièvre et une magie uniques
en leur genre. Auteur d’albums exemplaires du début des années 70 comme
Everybody Knows This Is Nowhere, After The Goldrush,
Harvest, mais aussi Tonight’s The Night, On The
Beach et Zuma, il a été également profondément marqué par le
punk-rock, créant Rust Never Sleeps. Son exemple inspirera aussi
bien, plus de dix ans plus tard, les musiciens de la vague grunge, comme
Kurt Cobain de Nirvana et Pearl Jam.
Natif de Toronto, Neil Young passe son enfance à la campagne dans la
petite ville d’Omeeme. Fils cadet d’un journaliste sportif connu (Scott
Young), il est atteint par la poliomyélite et frôle la mort à l’âge de
cinq ans. A la séparation de ses parents, l’enfant part vivre avec sa
mère à Winnipeg. Il abandonne ses études après le lycée et rêve de
devenir fermier. Le destin lui fait découvrir Elvis Presley et Chuck
Berry. Aidé par sa mère, il s’achète une guitare Gretsch orange et
commence à jouer à l’âge de quatorze ans. En 1962, il assiste à un
concert de Roy Orbison qui devient son idole. A quinze ans, il fait
partie des Esquires, un groupe semi-professionnel. Neil Percival Kenneth
Ragland Young (son nom complet) enregistre son premier 45 tours à
Winnipeg pendant l’été 1963 avec les Squires, un groupe d’abord purement
instrumental influencé par les Shadows (Hank B. Marvin est son héros,
tout comme Lonnie Mack, Link Wray et Dick Dale). Le groupe publie un 45
tours situé dans le sillage des groupes de surf comme les Surfaris,
«Aurora — The Sultans». Entiché des Beatles, il commence à écrire ses
propres chansons et à chanter au sein des Squires début 1964, reprenant
notamment «Money» et «It Won’t Be Long», avant d’intégrer le répertoire
des Rolling Stones et des Kinks, improvisant longuement sur le thème de
«Farmer John» (qu’il reprendra d’ailleurs dans Ragged Glory
trente ans plus tard). «A ce moment-là, s’ouvrira-t-il au critique Nick
Kent dans L’Envers du rock, je m’essayais à un nouveau genre de
musique, un peu folk-rock, mais en plus dur. On prenait de vieux airs
traditionnels comme «Clementine» et «Oh Susannah» sur des tons mineurs,
on y ajoutait de petites harmonies bizarres et on les jouait sur un
rythme de surf-rock.»
Au printemps 1965, dans un club de Fort William, The Fourth
Dimension, Neil Young rencontre Stephen Stills, originaire du sud des
Etats-Unis et de passage au Canada avec son groupe de folk d’alors, The
Company. Fascinés l’un par l’autre, les deux guitaristes se font la
promesse de se retrouver sans tarder. Cela leur prendra un an.
Entre-temps, Neil Young aura écrit «Sugar Mountain» et «Long May You
Run», changé le nom des Squires en High Flying Birds, aura quitté
ceux-ci pour former avec le bassiste Ken Koblun Four To Go And The
Castaways, fait la connaissance de Richie Furay et, sous l’influence de
sa fiancée d’alors, se sera transformé en chanteur de folk inspiré par
Bob Dylan, enregistrant sept titres pour Elektra à New York, dont
«Nowadays Clancy Can’t Even Sing». Ensuite, il rejoindra à Detroit les
Mynah Birds de Bruce Palmer et Rick James (future star du funk des
années 80), qui enregistrent même pour Motown sous la direction de
Smokey Robinson un album resté inédit, jusqu’à ce que Rick James soit
arrêté pour désertion de l’US Navy, ce qui mettra fin à une carrière
prometteuse.
Après avoir vendu le peu qui lui appartenait, Neil Young s’embarque
en février 1966 avec Bruce Palmer à bord d’un corbillard ! — en
direction de Hollywood, à la recherche de Stephen Stills, empruntant la
célèbre Route 66 («Elle était encore ouverte en ce temps-là, ce n’était
pas une légende»). Lorsqu’ils croisent celui-ci par hasard sur Sunset
Boulevard, accompagné du guitariste Richie Furay, le 1er avril 1966,
l’histoire du rock fait un bond. Dès le début de Buffalo Springfield,
Neil Young jouit d’un statut à part. Il compose pas mal, chante un peu
et occupe en principe le rôle de guitariste soliste. Mais il écrit de
plus en plus, souhaitant chanter autant que Furay et Stills, subissant
la concurrence de ce dernier à la guitare. Il quitte alors le groupe à
plusieurs reprises (mai-août 1967, mars 1968), connaissant durant cette
période ses premières attaques d’épilepsie, dont certaines le prennent
sur scène. Il goûte à toutes les drogues, en particulier le LSD qui lui
inspire «Flying On The Ground Is Wrong» et «Burned». Il travaille avec
l’arrangeur de Phil Spector (et à l’occasion pianiste pour les Rolling
Stones), Jack Nitzsche, les Cascades (qui reprennent «Flying On The
Ground Is Wrong») et Love (Forever Changes). Neil Young domine de
son intensité les prestations scéniques de Buffalo Springfield et
l’ensemble du deuxième album, Buffalo Springfield Again, grâce à
trois morceaux somptueux : «Mr. Soul», «Expecting To Fly» et «Broken
Arrow». Eternellement vêtu de sa veste indienne à franges ou d’un
uniforme de l’armée sudiste des Confédérés, Neil Young forme avec Bruce
Palmer et le batteur Dewey Martin le coeur canadien du groupe, même si
Stephen Stills en est le leader incontesté. Sa présence reste à part,
comme plus tard au sein de Crosby, Stills, Nash (& Young).

Au printemps 1968, alors qu’il prépare son premier album solo en
compagnie de Jack Nitzsche, Neil Young est arrêté pour détention de
marijuana en compagnie d’Eric Clapton, Jim Messina et Richie Furay dans
le chalet en séquoia de Topanga Canyon qu’il partage avec Susan Acevedo
(la tenancière du Topanga Café qu’il épousera bientôt). Relâché le
lendemain, il retrouve Buffalo Springfield pour une tournée d’adieux et
signe en solo avec Reprise, le label de Frank Sinatra. ‘Neil
Young, enregistré avec Jim Messina à la basse et George Grantham à
la batterie, qui rejoindront bientôt Furay au sein de Poco, est un album
arrangé par Jack Nitzsche avec la participation de Ry Cooder, et produit
par David Briggs. Ce premier disque solo de Neil Young paraît exactement
le 22 janvier 1969 : malgré sa qualité d’ensemble et son intensité («The
Old Laughing Lady», l’exceptionnel «Here We Are In The Years»,
l’emblématique «The Loner»), il n’entre même pas dans le Top 200 du
Billboard. Durant cette période, Neil Young fréquente Charles
Manson (le futur assassin de Sharon Tate), alors un auteur-compositeur
au charisme aussi intense qu’inquiétant. Il avouera à Nick Kent avoir
suggéré à Warner de lui signer un contrat : «S’il avait eu un groupe
comme celui de Dylan pour «Subterranean Homesick Blues»... Mais c’était
inconcevable, il y avait quelque chose en lui qui empêchait les autres
de rester trop longtemps à proximité.» Peu de temps après, Young
rencontre un groupe de bar d’origine new-yorkaise au Whisky A-Gogo, les
Rockets, qui deviennent Crazy Horse dès février pour une tournée de la
Côte Est. Le mois suivant, Young, le remarquable guitariste et chanteur
Danny Whitten, le bassiste et le batteur Ralph Molina entrent en studio
pour enregistrer ce qui s’avérera leur premier chef-d’oeuvre,
Everybody Knows This Is Nowhere (1969). Publié en mai, il
contient trois tours dc force à la guitare qui constitueront la base de
leurs concerts de ces années-là : l’abrasif «Cinnamon Girl», les épiques
et enfiévrés «Hello Cowgirl In The Sand», «Down By The River» où son jeu
de guitare haché et obsédant fait merveille.
A la mi-1969, Neil Young franchit un des pas les plus importants de
sa carrière. A l’initiative du président d’Atlantic, Stephen Stills lui
a demandé de le rejoindre au sein de Crosby, Stills & Nash, dont le
prcmier album n’est pas encore sorti. Le 18 août 1969, le quatuor donne
son deuxième concert devant cinq cent mille personnes au festival de
Woodstock, ce qui le consacre instantanément comme les nouveaux Beatles,
porte-parole de ce qu’on nommera la «Woodstock Generation». A l’origine,
Neil Young tient un rôle purement complémentaire : il ajoute ses
furieuses interventions à la guitare électrique aux longs déchirements
des chansons de Crosby, engageant des joutes instrumentales avec Stills
dans les «chevaux de bataille» scéniques du groupe comme «Carry On» et
«Wooden Ships». Il contribue vite au répertoire de la formation,
apportant le puissant «Down By The River», l’enflammé «Southern Man», le
passionné «Ohio» qu’il considère comme son meilleur enregistrement avec
Crosby, Stills, Nash (& Young). On le retrouve aussi à l’orgue,
parfois au piano, au cours des séquences acoustiques, où sa voix haut
perchée et son jeu ciselé font merveille, d’«On The Way Home» à «Birds»,
de «Hello Cowgirl In The Sand» à «Helpless». Parallèlement, il profite
de chaque semaine de liberté pour tourner avec Crazy Horse. Ses
après-midi et ses soirées prises par Crosby, Stills, Nash (& Young),
il utilise ses matinées pour enregistrer de son côté, le plus souvent en
compagnie de Stephen Stills et du guitariste de Grin, Nils Lofgren,
passé au piano.

En septembre 1970, moins de six mois après Déjà vu (1970),
paraît After The Goldrush, le troisième album solo de Neil Young.
Ce disque tourmenté, qui bénéficie de l’exceptionnelle publicité
octroyée par le succès de Crosby, Stills, Nash (& Young), sert de
miroir à toute une génération : il se classe aussitôt en tête des
hit-parades américains et britanniques. L’univers romantique de Neil
Young, «l’esprit de Topanga Canyon» comme il le décrit, cristallise
l’inquiétude et l’impatience de toute la génération hippie, pacifiste
mais révoltée, écologiste et radicale, qui voit son combat se durcir :
musicalement entre rock et folk, «Tell Me Why», «Only Love Can Break
Your Heart», «I Believe In You», «Birds» et «Southern Man» sont autant
de titres impérissables. Le grand guitariste dégingandé incarne dès lors
un des bénis des années 70, chantre de la perte des illusions, et
bientôt du spleen et de la désolation. Une tournée acoustique, qui passe
par des salles comme Carnegie Hall et le Royal Festival Hall, est
enregistrée en vue d’un album live, qui ne paraîtra jamais, mais sera
diffusé via d’abondants enregistrements pirates.
Durant cette période, Neil Young change de vie. Après avoir rencontré
Carrie Snodgrass, la vedette du film Diary Of An American
Housewife, il a quitté sa femme et vit désormais dans un ranch de la
région de San Francisco, où il élève son premier enfant, Zeke. Il écrit
pour sa nouvelle femme «A Man Needs A Maid», un titre qu’on découvre
dans son Harvest, qui paraît en février 1972 et devient le mois
suivant n°1 aux États-Unis, s’imposant comme l’un des albums les plus
populaires dc la décennie. «Heart 0f Gold» sera également n°1, arrachant
à Bob Dylan ce commentaire : «A chaque fois que j’entendais «Heart 0f
Gold», je me sentais contrarié. Je me disais : merde, c’est moi.
Puisqu’il sonne comme moi, c’est moi qui aurais dû chanter ça.» Si
Harvest reste l’album le plus populaire de la carrière de Neil
Young, ce n’est pas le plus incisif ni le plus inspiré, malgré «Old Man»
et «The Needle And The Damage Done». Sa production feutrée est
impeccable, avec les voix de Crosby, Stills, Nash, Linda Ronstadt et
James Taylor omniprésentes dans les choeurs, et un tempo de bastringue
fatigué, parfaite incarnation de la notion californienne de laid-back
(soit, si l’on veut, «peinard»). Peut-être conscient d’un relâchement de
sa pugnacité, Neil Young publie un 45 tours inédit le 19 juin en duo
avec Graham Nash «War Song», chanson de soutien au candidat démocrate à
la Maison-Blanche, George McGovern («There’s a man / Who says he can
/ Put an end to war...», soit «Il y a un homme qui dit qu’il peut /
Mettre fin à la guerre»).
Après Harvest, Neil Young n’aura de cesse qu’il ne soit
toujours là où on ne l’attend pas, s’ingéniant délibérément à saboter
son succès populaire en entreprenant des projets inattendus. «C’est ma
nature qui appelle un changement constant. Seulement pour éviter de
m’ennuyer et d’ennuyer les autres. Que voulez-vous, quand je me lève le
matin, il y a cette petite voix qui me dit : Neil, voilà ce qu’il te
faut absolument faire aujourd’hui. Si je cessais de l’écouter, je
perdrais mon âme.» Il le fait dès fin 1972, tout d’abord, en réalisant
(on pourrait dire en bricolant) un film autobiographique inspiré de
Fellini et Godard, Journey Through The Past, qui donne lieu à un
double album dont l’unique intérêt consiste en quelques titres live bien
sentis avec Crosby, Stills, Nash (& Young). Publié en octobre 1973,
l’album live Times Fades Away est une autre surprise : loin de
ressembler au recueillement d’une grand-messe hippie, cet album témoigne
d’une tournée calamiteuse où Neil Young, traumatisé par la mort de Danny
Whitten, le guitariste de Crazy Horse, consécutive à une overdose
d’héroïne, perd sa voix et des spectateurs soir après soir : il finit
par appeler David Crosby (dont la mère meurt d’un cancer) et Graham Nash
(dont la compagne vient d’être assassinée par son beau-frère) à la
rescousse. Le résultat donne un disque dur, froid et sombre, dont le
principal mérite réside dans son honnêteté et son courage (tous les
morceaux sont alors inédits). La plus belle chanson en est «Don’t Be
Denied», où Neil Young se souvient de son enfance et de son adolescence
au Canada. Démoralisé, vivant les derniers mois de sa liaison avec
Carrie Snodgrass, isolés dans leur ranch de San Mateo avec son fils Zeke
qui souffre d’autisme, Neil Young entre dans une dépression noire.
Au printemps 1973, après l’échec d’une tentative de réunion de
Crosby, Stills, Nash (& Young) à Hawaii, Neil Young a enregistré
Tonight’s The Night, un album qui mettra deux ans avant d’être
publié. Si ce disque reste son album préféré — et celui de la majorité
de la critique —, il s’avère aussi le plus sombre, celui où son
obsession pour les ravages de la drogue est à son comble : après
Whitten, Bruce Berry, un roadie de Crosby, Stills, Nash (& Young), a
succombé à son tour à une overdose (le disque lui sera dédié). Mal
accueilli par sa maison de disques et repoussé par une nouvelle et
triomphale réunion de Crosby, Stills, Nash (& Young) tout au long de
1974, Tonight’s The Night souffrira aussi de la publication de
l’excellent On The Beach cet été-là : enregistré avec la
rythmique de The Band (Levon Helm et Rick Danko) et consacré aux dérives
et à l’agonie du rêve hippie californien, cet album amer, dépouillé de
tout sentimentalisme, évoque par bien des aspects le Plastic Ono
Band de John Lennon ou le Blood On The Tracks de Bob Dylan
avec des morceaux mordants et cruels comme «Walk On» ou «Revolution
Blues», qui revient sur les meurtres de Charles Manson, ou encore le
magnifique «Ambulance Blues», long de neuf minutes, qui se conclut par
cet aphorisme mémorable : «There is noihing like a friend / To tell
you you’re just pissing in the wind» («Rien ne vaut un ami pour te
faire remarquer que tu pisses contre le vent»).

Aprés l’échec d’un autre album en studio avec Crosby, Stills, Nash
(& Young) enregistré dans la foulée à San Francisco, Neil Young
enregistre ce qu’il espère être une suite à Harvest ; un album
resté inédit, Homegrown, dont il distillera des fragments dans
différents albums au cours des années suivantes («Star 0f Bethleem» avec
Emmylou Harris, notamment). Finalement opéré des cordes vocales, il
publie enfin Tonight’s The Night deux ans après son
enregistrement, déchaînant tantôt l’admiration tantôt la consternation,
selon ses fans ; la production nue, à vif, la sincérité, la crudité et
la brutalité de la chanson-titre, reprise deux fois, de «Tired Eyes» ou
de «Borrowed Tune» heurtait les sensibilités fragiles et n’offrent guère
de points d’accroche aux programmateurs de radio. Neil Young enchaîne à
la rentrée 1975 avec Zuma, un album où l’on retrouve cette fois
presque toutes ses différentes facettes : le fan des Beatles et des
Rolling Stones («Don’t Cry No Tears»), celui de Jimi Hendrix, guitariste
fiévreux capable de partir dans de longues rêveries épiques, sur une
trame historico-politique (le phénoménal «Cortez The Killer»), le
baladin folk rêveur révélé par Crosby, Stills, Nash (& Young)
(«Through My Sails», avec eux).
Le parcours de Neil Young paraîtra, au fil des années, de plus en
plus décousu et déconcertant. Une nouvelle tentative d’album de Crosby,
Stills, Nash (& Young), cette fois à Miami, donnera naissance au
très décevant Stills — Young Band, dont ne surnage que le
nostalgique «Long May You Run». Neil Young quittera abruptement la
tournée, ne prévenant Stephen Stills que par une note laconique : «Tu ne
trouves pas ça marrant que les choses qui débutent spontanément se
terminent aussi spontanément ?» Loin de restaurer l’esprit de Buffalo
Springfield, cette nouvelle collaboration trahit la fatigue de deux
superstars épuisées par le rythme effréné de leurs productions. Pour se
ressourcer, comme il en a pris l’habitude, Neil retrouve Crazy Horse, où
Frank Sampedro a succédé à Danny Whitten. Au printemps 1977, il publie
le chaotique American Stars’n’Bars, où brille celui de ses
morceaux où il s’est le plus rapproché de Jimi Hendrix, l’extraordinaire
«Like A Hurricane», qui deviendra l’un des piliers de ses concerts.
Pendant l’été, il entreprend une tournée des bars de la Côte Ouest avec
The Ducks, un groupe dont le bassiste est Bob Mosley de Moby Grape, puis
publie Decade, un triple album souvenir qui constitue sa première
anthologie, émaillée de nombreux inédits. N’obtenant toujours aucun
succès avec ses propres 45 tours, Neil Young réussit pourtant dans les
hit-parades en tant que compositeur via Linda Ronstadt («Love Is A
Rose») et Nicolette Larson («Lotta Love»), qu’on retrouvera dans son
prochain album, le très doux et suave Comes A Time (1978) qui
deviendra son plus gros succès commercial depuis Harvest.
Une nouvelle métamorphose de Neil Young sera entraînée par sa passion
pour la révolution du punk-rock et de la new wave à la fin des années 70
(et en particulier pour le groupe Devo). Fin 1978, il est déjà reparti
en tournée avec Crazy Horse, faisant filmer lui-même ses concerts pour
ce qui constituera le documentaire Rust Never Sleeps. Publié en
juillet 1979, le disque qui en est tiré marque un retour en grâce et
constitue la plus pertinente des réponses à l’insurrection punk qui s’en
prend alors violemment aux «dinosaures» du rock hippie. Le titre
manifeste «Hey Hey My My» («Rock’n’roll can never die», dit le refrain)
qui, à la manière de «Tonight’s The Night», se répète dans deux
versions, acoustique et électrique : il établit le lien entre Elvis
Presley et Johnny Rotten des Sex Pistols ; «The Thrasher» condamne les
parvenus du rock, dans une allusion claire visant ses vieux compagnons
(«Just dead weight to me / Better down the road without that
load», «Juste un poids mort pour moi / Mieux vaut descendre la route
sans cette charge») ; «Powderfinger» s’attaque aux rêveurs hippies
attardés ; complété par des titres où le chanteur défend avec ardeur les
Indiens, «Pocahontas» et «Ride My Llama», Rust Never Sleeps
constitue un des sommets de l’oeuvre de Neil Young et de l’histoire du
rock. Légitimement élu «artiste de la décennie» par le Village
Voice, Neil Young se révèle au sommet de son art : il devient le
favori de romanciers comme Thomas McGuane et Tom Robbins et de cinéastes
comme Dennis Hopper et Paul Schrader.

Après avoir publié Live Rust (1979), brûlant résumé sur scène
de son répertoire, Neil Young entre dans une période particulièrement
troublée de son existence et de sa carrière. Le plutôt country Hawks
And Doves (1980) et Re-ac-tor (1981), à l’orientation
rhythm’n’blues — deux albums qui traduisent son inquiétude face à
l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan -, passent relativement inaperçus.
Les épisodes suivants déroutent même ses fans les plus irréductibles, se
présentant comme une série sans queue ni tête de faux départs et de
volte-face stylistiques. Après une tournée européenne à la tête d’une
formation où il retrouve non seulement Nils Lofgren, mais aussi son
vieux compagnon de Buffalo Springfield, Bruce Palmer, Neil Young publie
le déconcertant Trans (1982), un album où sa voix est déformée
par un vocoder, à la manière de Kraftwerk, s’inspirant des rythmes et
sons électronico-robotiques de ce groupe. Ce disque est en réalité
inspiré par ses difficultés de communication avec son second fils Sen,
un handicapé mental : si l’on en connaît la clé, Trans constitue
un album assez émouvant ; sinon, il apparaît à la traîne du rock
électronique européen et, à ce titre, n’a guère
d’intérêt.
Everybody’s Rockin’ (1983) cause un choc encore
plus grand. Accompagné par les Shocking Pinks, il livre un album long de
moins de vingt-cinq minutes d’un mauvais rockabilly, donnant
l’impression de courir après la mode, cette fois celle des Stray Cats.
Après avoir participé au Band Aid canadien, Northern Lights, et
repris la route avec Crazy Morse, Neil Young, qui vit alors avec
soulagement la naissance de sa fille Amber Jean, parfaitement normale,
surprend à nouveau son monde en apparaissant sur scène aux côtés des
chanteurs country Jerry Jeff Walker et de Willie Nelson, chantant «Are
There Anymore Real Cowboys ?») pour le premier Farm Aid. Dans la foulée,
est publié Old Ways (1985), un album honorable de country
accompagné d’une interview où l’ancien ennemi juré de Richard Nixon se
fait à la stupéfaction générale l’avocat de Ronald Reagan. C’est alors
que sa maison de disques, Geffen, lui intente un procès inédit pour un
chef inattendu : non-représentativité de ses enregistrements. Autrement
dit : Neil Young n’a pas enregistré les disques pour lesquels Neil Young
avait signé un contrat. La procédure n’aboutira pas, et le chanteur
rentrera au bercail, chez Reprise, quelques années plus tard.
Entre-temps auront été publiés le stérile Landing On Water
(1986), vague disque de hard rock rempli de synthétiseurs, ainsi que
Life (1987), guère plus intéressant malgré la participation de
Crazy Horse.
En 1987, Neil Young tient la promesse faite à David Crosby de réunir
Crosby, Stills, Nash (& Young), à condition que celui-ci parvienne à
surmonter son accoutumance à la cocaïne. Après la courte réunion du 1er
juillet 1985 pour Live Aid, deux concerts sont donnés cette fois au
bénéfice de Greenpeace, suivis d’un autre pour les Vétérans du Vietnam,
après quoi le quatuor est à nouveau en studio pour la première fois
dépuis 1976, parvenant enfin à enregistrer en 1988 son second album,
American Dream, dix-huit ans après Déjà vu. Neil Young ne
sera pourtant pas de la tournée qui s’ensuit, préférant reprendre la
route avec sa nouvelle formation de jump blues, The Bluenotes, dont
l’album paraît début 1988. Il voit son clip pour «This Note’s For You»
d’abord rejeté par MTV avant de remporter le titre de la meilleure vidéo
un an plus tard aux MTV Music Video Awards. «J’ai passé ma vie à
détruire systématiquement les attentes de mes fans. C’est pour ça que je
suis toujours vivant. Je n’ai cure de la nostalgie. Ça ne sert à rien de
s’attacher à des choses qui ne peuvent pas durer», expliquera-t-il un
peu plus tard à propos de cette décennie perdue, ajoutant : «Ce n’est
que dans dix ans, quand on prendra mes quarante ans de musique en
compte, que mes années 80 auront un sens pour les autres.»
Vient enfin l’année 1989, celle de la chute du mur de Berlin. Neil
Young monte en première ligne avec un E.-P. d’une rare violence,
Eldorado, publié exclusivement en Océanie et au Japon. «En ne
publiant que ces cinq titres, seulement à 5 000 exemplaires, loin de
tout centre et le plus discrètement possible, j’évitais qu’on dise : 0h,
ça y est, maintenant, il fait du speed metal. Parce que pour moi,
c’était en réalité un retour à la case départ, la fin d’une
désincarnation.» Pour tous ses admirateurs, Freedom (1989), qui
recycle trois de ces cinq titres, constitue son meilleur album depuis
Rust Never Sleeps, d’une rare acuité. Neil Young établit un pont
entre punk et grunge, apparaissant comme le parrain parfait de la
nouvelle génération du rock américain (Nirvana, Pearl Jam, Sonic Youth,
Pixies, Dinosaur Jr.) et britannique (The Jesus And Mary Chain, Teenage
Fan Club, Ride, My Bloody Valentine). Alors que les chars et les
manifestants s’affrontent en Roumanie, Neil Young chante seul dans les
salles d’Europe, armé d’une guitare sèche, d’un porte-harmonica et d’un
vieux piano droit, s’imposant comme le seul égal de Bob Dylan.
Bientôt, Neil Young est partout : il apparaît dans les albums de
Tracy Chapman et Warren Zevon, participe à nouveau à Farm Aid et au
second hommage à Nelson Mandela, lançant les concerts pour l’association
The Bridge de sa femme Pegi qui s’occupe des enfants handicapés de la
baie de San Francisco, et retrouve en plusieurs occasions Crosby, Stills
& Nash. Transfiguré, il publie en 1990 Ragged Glory, un
chef-d’oeuvre de rock électrique où il retrouve avec Crazy Horse le même
type d’intensité que vingt ans plus tôt avec Everybody Knows This Is
Nowhere, la fièvre ayant cette fois cédé la place à la fureur. Il
connaît ainsi une période particulièrement faste qui voit se dérouler
une série d’albums remarquables. Fin 1991, paraît le double CD
Arc-Weld, enregistré lors de la phénoménale tournée «Smell The
Horse» avec Crazy Horse, alors que les bombes américaines pleuvent sur
Bagdad et que les Scuds irakiens visent Jérusalem. Le disque live
lui-même est excellent avec sa version de «Blowin’ In The Wind» ;
l’autre volet est constitué d’un appendice fascinant, avant-gardiste et
bruitiste, Arc, oscillant entre Sonic Youth (qui assure la
première partie de ses concerts), le Lou Reed de Metal Machine
Music et les moments les plus extrêmes de Pink Floyd et du
compositeur de musique électronique français Pierre Henry. Un an plus
tard, Neil Young surprend à rebours avec Harvest Moon (1992), un
regard tendre et affectueux sur les survivants de sa génération, ceux
qui écoutaient Harvest au coin du feu en rêvant d’un monde
meilleur, comme en témoigne «From Hank To Hendrix».
En 1993, un an après avoir participé aux trente ans de carrière de
Bob Dylan en interprétant «All Along The Watchtower» et «Just Like Tom
Thumb’s Blues» et avoir connu un tube inattendu avec la chanson du film
Philadelphia, Neil Young cède à l’exercice «Unplugged» de MTV,
s’entourant entre autres de Nils Lofgren, de sa soeur Astrid Young et de
Nicolette Larson dont ce sera la dernière apparition d’importance.
Passant en revue trente ans de carrière, de «Mr. Soul» à un splendide
«Like A Hurricane» interprété à l’orgue à vapeur, il y émeut de bout en
bout, égalant en qualité d’innovation et d’émotion les prestations
impeccables d’Eric Clapton et de Nirvana réalisées dans les mêmes
conditions. En citant un extrait fameux de «Hey Hey My My» («It’s
better to burn out / Than it is to rust», soit «Mieux vaut brûler une
fois pour toutes que s’user») dans le mot qu’il laisse avant de se
suicider, Kurt Cobain révèle l’emprise de l’oeuvre de Neil Young sur sa
génération. A l’issue d’une longue tournée mondiale où il est accompagné
par Booker T. & The MG’s, Young retrouve encore Crazy Horse pour
Sleeps With Angels en été 1994, un très bon album hanté par la
disparition de Cobain. Suivra Mirror Ball (1995), enregistré
cette fois avec Pearl Jam, dans un mariage entre vieille école et
nouvelle vague où Neil Young se résume merveilleusement dans «I’m The
Ocean» : «People my age don’t do the things I do» («Les gens de mon
âge ne font pas ce que je fais»). Il compose ensuite la musique du film
de Jim Jarmusch Dead Man, puis retrouve de nouveau Crazy Horse
pour Broken Arrow, qui ne présente toujours aucun signe de
faiblesse ni d’assagissement de la part de ce vieil Indien qui refuse —
comme le rock — de laisser l’âge le ramollir, et la mort le rattraper :
«I still live in a dream we had / Hoping it’s not over» («Je vis
toujours dans ce rêve que nous avions / Espérant qu’il n’est pas
terminé»). Il résumera merveilleusement son parcours en ouverture d’un
troisième double live sans concession, Year 0f The Horse : «It’s all
one song» («Tout ça n’est qu’une seule chanson»).

En trente ans à ce jour d’une carrière à peu près parfaitement
erratique, Neil Young a pu, accidentellement, coïncider avec certaines
modes. Dans le milieu des années 70, on trouvait Harvest chez
tous les babas, et pendant les années 80 il a payé ce succès très cher,
jusqu’à ce que la génération grunge s’aperçoive qu’il produisait aussi
des disques torturés, violents, traversés d’étranges plaintes de guitare
électrique ; pendant quelques années, une nouvelle fois, Neil Young a
été à la mode, salué comme un précurseur. Il est étrange que rien de
tout cela n’ait réussi à le faire dévier ; mais, à vrai dire, pour
dévier, il faut une direction initiale, «Le but de tout style, écrit
Nietzsche à la fin d’Ecce Homo, est de communiquer par des
signes, y compris par le rythme de ces signes, un état psychologique,
une tension des sentiments ; la multiplicité des états psychologiques
étant chez moi très grande, je dispose d’un très grand nombre de styles
possible.» On pourrait comparer la biographie de Neil Young (incohérent,
incontrôlable, mais toujours d’une foudroyante sincérité) à celle d’un
maniaco-dépressif, ou au parcours d’une perturbation atmosphérique
traversant une région de vallées et de montagnes. On a vraiment
l’impression qu’il saisit l’instrument de musique le plus proche et
qu’il exprime — simplement, directement — les émotions qui traversent
son âme. Le plus souvent, l’instrument est une guitare ; mais de grands
guitaristes, il y en a d’autres. Alors que très peu d’artistes sont
aussi immédiatement présents, vivants dans chacune de leurs notes, dans
chaque tremblement de leur voix. «Soldier», maladroitement composée au
piano sur quelques doigts, est une de ses chansons les plus mystérieuses
et les plus belles. L’harmonica acquiert dans «Little Wing» une violence
triste, un souffle désespéré qui traversent les âges. Et c’est dans un
contexte jazz parfaitement incongru qu’apparaît «Twilight», une de ses
dérives les plus poignantes.
La perfection chez Neil Young est fragile, elle naît au milieu du
chaos. Aucun de ses albums n’est parfaitement réussi ; mais il n’en est
aucun qui ne comporte au moins une chanson magnifique. Ses plus beaux
disques sont sans doute ceux qui oscillent entre tristesse, solitude,
rêve éveillé et bonheur paisible. On peut y imaginer son auditeur idéal,
son double invisible. Les chansons de Neil Young sont faites pour ceux
qui sont souvent malheureux, solitaires, qui frôlent les portes du
désespoir et qui continuent, cependant, de croire que le bonheur est
possible. Pour ceux qui ne sont pas toujours heureux en amour, mais qui
sont toujours amoureux de nouveau. Qui connaissent la tentation du
cynisme, sans être capables d’y céder très longtemps. Qui peuvent
pleurer de rage à la mort d’un ami («Tonight’s The Night») et qui se
demandent réellement si Jésus-Christ peut venir les sauver. Qui
continuent, en toute bonne foi, à penser qu’on peut vivre heureux sur la
Terre. Il faut être un très grand artiste pour avoir le courage d’être
sentimental, pour aller jusqu’au risque de la mièvrerie. Mais cela fait
tellement de bien, parfois, d’entendre un homme se plaindre humblement,
d’une petite voix triste, d’avoir été abandonné par une femme : «A Man
Needs A Maid», «What Did You Do To My Life», pour cette raison, ne
risquent pas de passer. Cela fait tellement de bien, aussi, de se
plonger dans ces véritables hymnes à l’amour, scintillants et magiques,
que Neil Young a produits au cours des années en collaboration avec Jack
Nitzsche : «Such A Woman», et surtout l’extraordinaire «We Never
Dance».
Mais, comme Schubert, Neil Young est peut-être encore plus
bouleversant lorsqu’il tente de décrire le bonheur. «Sugar Mountain», «I
Am A Child» sont si pures, si naïves qu’on en a le coeur serré. Un tel
bonheur n’est pas possible, pas ici, pas chez nous. Il aurait fallu
pouvoir conserver son enfance. Quelle autre chanson, quelle autre
création artistique tente comme «My Boy» d’exprimer ce sentiment obscur
et poignant de l’homme mûr qui s’attriste de voir son fils quitter déjà
les abords de l’enfance ? «Tu auras eu si peu de temps, mon fils ; nous
aurons eu si peu de temps ensemble» : «I thought we had just
begun» («Je croyais qu’on venait juste de commencer»). Certains
textes de Neil Young évoquent l’adolescence par la violence du sentiment
amoureux ; mais cela est courant dans le rock et ses chansons les plus
originales et les plus belles sont sans doute celles où il a pu
redevenir un enfant. Parfois, cet homme a pu voir d’étranges choses dans
le ciel, dans les ondulations de l’eau à la surface d’un étang. «After
The Goldrush» nous transporte directement dans un rêve ; «Here We Are In
The Years», si familière et si troublante, évoque ces après-midi
scintillants des romans de Clifford Simak.
Comment devient-on Neil Young ? Il le raconte dans le très
autobiographique «Don’t Be Denied» : l’enfance désunie, les coups à
l’école, la rencontre avec Stephen Stills, le désir d’être une star. Et,
à travers tout, la volonté de tenir. Ne te laisse pas démolir par le
monde : «Oh, friend of mine / Don’t be denied» («Oh, mon ami, ne
te laisse pas nier»). Pour qui chante-t-il ? Pour lui, pour le monde
entier ? Beaucoup ont souvent eu la sensation qu’il chantait pour eux
seuls. Quand on écoute ces immenses dérives déstructurées, improbables,
qui jalonnent son oeuvre («Last Trip To Tulsa», «Twilight», «Inca
Queen», «Cortez The Killer»...), c’est toujours la même image qui vient
à l’esprit : un homme avance, sur un chemin difficile et rocailleux.
Souvent il tombe, il a les genoux en sang ; il se relève et continue à
avancer. (C’est presque la même image que dans Winterreise ; sauf
que chez Schubert il fait froid, le chemin est couvert de neige et
l’homme ressent la tentation terrible de se lover dans la douceur de la
mort et de la neige.) La guitare électrique traverse des paysages
étranges, effrayants ou sublimes ; parfois tout se calme et le monde bat
au rythme d’un balancement chaud ; parfois la violence et la terreur
envahissent le monde. La voix continue, obstinée et fragile. La voix
nous guide. Elle vient de loin, de très loin dans l’âme ; elle ne
renoncera pas. Ce n’est pas une voix très virile ; elle tient un peu de
la femme, du vieillard ou de l’enfant. C’est la voix d’un être humain,
qui a en outre une chose naïve et importante à nous dire : le monde peut
être comme il est, c’est son affaire ; ce n’est aucunement pour nous une
raison de renoncer à le rendre meilleur. Tel est le simple message de
«Lotta Love» : «It’s gonna take a lotta love / To change the way
things are» («Il va falloir un tas d’amour / Pour changer l’état des
choses»). Tel est celui de : «Heart of gold / And I’m getting old.» Neil
Young a souvent accompagné ses auditeurs dans les souffrances et dans
les doutes : lui et eux savent que le temps ne prévaudra plus contre
eux.
Yves Bigot & Michel
Houellebecq