The Last Trip To Greendale
Greendale est une ville (sans doute imaginaire) de Californie. Si
vous allez là-bas, en arrivant, par la route, vous avez bien sur la
possibilité de la contourner et de ne pas vous y arrêter.
Mais une
visite s'impose. C'est en touriste qu'il faut visiter Greendale ; pas comme
ce type de touriste qui va s'arrêter sur la place, prendre quelques
instantanés et repartir moins de 80 minutes après. Celui-là aura juste
acheté quelques cartes postales, clichés surannés lui donnant une fausse
idée du lieu. C'est tout juste s'il utilisera les cartes postales pour
écrire à ses relations, parsemant son court texte de quelques bons mots
destinés à faire rire lors des cocktails de soirée.
Non, pour
connaître Greendale, il faut tout parcourir, et flâner en prenant le temps
d'écouter …10 titres accompagnés d'un livret reprenant les textes
d'introduction des morceaux. …Et pour les possesseurs d'un lecteur DVD, un
des concerts acoustique.
L'histoire s'articule autour d'une famille
où trois générations coexistent. L'ancienne génération, celle de "l'Amérique
heureuse" (il est toujours joli, le temps passé), la suivante, rescapée (?)
du traumatisme vietnamien et la jeune génération, (où pour être plus précis,
dans la logique de l'auteur, l'Amérique du futur).
La vie s'écoule
paisiblement à Greendale ; dans ces petites villes, on pourrait même croire
que le temps s'est arrêté ("Change comes slow in the country"), tout le
monde se côtoie dans la routine d'une vie simple et la famille Green se
réunit, toutes générations confondues sous le porche du ranch, écoutant
Grandpa donner ses conseils dans la chaleur de la nuit.
Mais
Greendale est en Amérique. Et si elle semble jusqu'à présent épargnée par
les travers du monde actuel, ce n'est qu'un équilibre précaire, instable.
The times, they are changing ! (Bob Dylan said that … or something like
that)
Bien sur le diable est présent à Greendale, comme partout ailleurs,
habitant particulier de cette ville dont il est l'hôte depuis longtemps.
Personnage romanesque plus que symbole biblique, il est une parabole de
l'évolution : il agit sans que l'on puisse savoir si les changements
occasionnés seront bénéfiques ou non.
Et Greendale va basculer ; un
coup de feu qui claque et les bouleversements vont s'enclencher
irrémédiablement, faisant brusquement passer la petite ville en 2003 :
meurtre, paranoia, médias envahissants, la société d'hier va mourir en même
temps que son symbole : Grandpa. Greendale va devoir se réveiller dans un
monde depuis longtemps corrompu et au bord du cataclysme, dominé par des
multinationales, et ce sera alors à la nouvelle génération
d'agir….
Greendale, ce n'est pas un album de 10 chansons, c'est une
chronique, un roman. Ce n'est pas là le moindre des paradoxes de ce CD, car
la musique est d'abord là pour servir l'histoire ; loin des envolées
lyriques et des solos de guitare, le guitariste Neil se fait souvent
discret, prenant quasiment la place laissée par Poncho, absent de l'album
(et qui d'ailleurs, sur scène ne prend pas la guitare). La trame musicale,
est souvent simple (et non pas simpliste), simple tant qu'elle raconte une
histoire simple, une histoire de tous les jours ; à une première écoute un
auditeur peu attentif (comme notre acheteur de cartes postales du début)
pourra d'ailleurs les trouver tous trop similaires ; mais c'est ça la vie ;
les jours se suivent et se ressemblent, tous identiques et pourtant tous
différents. Car ils sont tous bien différents ces morceaux, créant une
atmosphère enveloppant le texte, comme une musique de film souligne l'image
à l'écran.
Ainsi, Falling From Above, le morceau débutant cet opus sonne
à priori comme un morceau Du Horse des 70's. Nostalgie du temps passé pour
illustrer cet épisode de paix avant la tempête. Mais la comparaison n'est
qu'approximative : la voix est claire et portée en avant, comme pour
souligner l'importance du texte, le son plus porté vers les aigus,
soulignant ainsi la batterie lancinante de Molina, travaillant comme un
métronome mesurant le temps qui passe irrémédiablement. La présence de
l'harmonica (rarissime dans les disques électriques de Neil) est remarquable
avec un son déformé, presque noyé.
La longue intro de Carmichael n'est
pas sans évoquer celle de Cortez, un des rares moments ou la guitare de Neil
se fait solo. L'évocation du passé est similaire, mais débouchera ici sur le
désespoir face aux actes stupides ("Carmichael you asshole").
A
l'inverse, le style précipité, saccadé et haché d'un morceau tel que Leave
The Driving souligne les moments de transition. Ceux-ci sont nécessaires à
l'action, mais ne semblent pas intéresser Neil ; seules leurs conséquences
sur les personnes vont être importantes….
Avec Grandpa's Interview,
la voix de Neil va se faire plus lointaine, presque noyée dans la musique.
Changement radical avec Sun Green : la voix revient au premier plan ; la
musique est plus incisive, plus rythmée. Ce morceau fourmille d'inventivité
et de surprises ; en effet, nous ne sommes plus là dans la vie de tous les
jours.
Pour le final, Be The Rain, la voix de Neil est noyé au milieu des
chœurs et à nouveau déformé par le mégaphone. Dans ce morceau, présenté
comme une vision chamanique, on retrouve curieusement le son habituel du
Horse, avec une batterie plus noyée, un son plus gras et plus sourd et on
assiste en final au retour de la guitare solo.
La première
interprétation que l'on peut donner de Greendale est évidemment militante :
on y retrouve tous les thèmes habituels de Young : nostalgie d'une Amérique
perdue, plus simple, plus proche de la nature (dans l'esprit de l'auteur,
bien sur), menaces sur l'écologie que font peser les multinationales,
compromissions gouvernementales….
Les propos, comme à son habitude
sont naïfs, car plus basés sur des sentiments que sur une réelle réflexion
politique ou économique. Young, de toutes façons a souvent utilisé ce genre
d'artifice (Cortez, Pocahontas…) et ne s'est jamais caché d'être plutôt
fâché avec l'histoire. Cependant, il convient d'être honnête : de nos jours,
un message simpliste a bien plus de chance de faire mouche qu'un traité
philosophique argumenté.
Les symboles sont d'ailleurs universels et
généraux (la statue en forme d'aigle, les noms : "Power & Co" ; "Mr
Clean", l'appel à sauvegarder "Mother Earth") comme si Neil voulait faire
durer ces propos à travers les ages sans que le morceau puisse être rattaché
à une époque quelconque.
L'utilisation de phrases clés est aussi
importante, véritables slogans en perspective ("Fighting for freedom of
silence")
Mais n'oublions surtout pas la dérision et la distanciation de
ces morceaux. Si le message est important dans son esprit, l'humour est bien
omniprésent, que ce soit dans les noms choisis que dans les situations
exposées (le FBI fait un raid et se fait attaquer par le chat ; le groupe
des Imitators est présenté avec une intro de ZZ top : il est probable que
Neil évoque ainsi ses nombreux emprunts musicaux dans le passé - d'ailleurs
sur scène, les Imitators sont une caricature du Horse) ; tout le texte de
Sun Green est d'ailleurs ainsi composé d'une suite de situations cocasses
ponctué par un narrateur qui semble lui-même perdre le fil de son histoire
("And the story gets confused…")
Il existe aussi une deuxième lecture de
Greendale, plus autobiographique, celle-ci. Personnage central de la
première moitié de l'album, Grandpa est-il Neil lui-même ? de nombreux
indices semés dans le CD portent à le croire.
D'abord, parce que les
références de Grandpa sont celles de Neil, lui même : valeurs morales ("When
I was young people wore What they had on") et familiales, fuites des
médias…
Ensuite à cause de certaines réflexions du personnage sur
l'auteur lui-même :
"Seem like that guy singin' this song Been doing
it for a long time Is there anything he knows That he ain't
said?"
Les textes sont parsemés de réflexions aussi bien sur le métier de
chanteur que sur sa propre carrière.
"The moral of this story Is
try not to get too old. The more time you spend on earth, The more you see
unfold. (Leave the drive'in …. très proche d'un My My Hey Hey)"
Ce
Greendale, Neil l'a porté à bout de bras toute l'année durant. Il va
parcourir 4 continents, ce qu'il n'avait pas fait depuis 1989, année de sa
"renaissance" (au moins au niveau des médias). Cette tournée, il l'a
voulue comme une tournée "Greendale" débarquant sur scène contre vents et
marées pour jouer le disque dans son intégralité. Jamais encore il n'avait
fait ça (le seul cas étant un concert de l'OPL ou le premier set avait été
consacré à Broken Arrow, mais il s'agissait alors d'un seul concert).
De par le style, les phrases clés, la morale qui en découle, Greendale
peut sonner comme un testament….
… et cette tournée comme une tournée
d'adieu !
Rien n'est impossible … même la sortie d'On The Beach en CD
! Et, avec Greendale, il peut nous dire qu'il est temps pour lui de partir en
beauté plutôt que de se faner ! Peut-être pense-t-il nous avoir dit tout
ce qu'il savait….
Double F …. to be
continued
***************************************** rappel des épisodes précédents : Neil, désabusé, usé et éreinté, après avoir
fait son bilan et passé son dernier contrôle technique, fait sa tournée
d'adieu, range sa 4-chevaux au garage qu'il a acheté en 86 et se prépare à
retourner au Broken Arrow couper son bois et taquiner la truite pendant que
Peggi va faire la cuisine (et que Sun Green achète un billet d'avion pour
Anchorage ?)
C'est un peu vite tirer des conclusions, non
?…. L'interprétation Neil = grandpa résiste peu, même si il y a beaucoup de
ce personnage en lui.
Un morceau, non encore évoqué, est un paradoxe
dans l'album, c'est le magnifique "Bandit".
Il est, en effet
consacré à Earl qui, si il est souvent cité dans les explications de Neil
semble à priori ne jouer qu'un rôle mineur dans l'histoire. Ce morceau
fourmille sans arrêt d'allusions à la carrière artistique (ce qui est normal
lorsque l'on évoque un peintre). Et comment ne peut-on pas d'ailleurs faire
également le rapprochement entre ce peintre, vétéran du Vietnam, peintre
psychédélique qui peint toujours la même chose, qui, brusquement inspiré
(par le diable) va faire quelque chose de profondément différent et ce
chanteur dont la carrière a commencé à l'époque de la guerre du Vietnam, qui
s'est violemment opposé à Nixon, qui a été un des symboles de l'époque Peace
And Love … et qui a passé sa vie à faire presque à chaque fois quelque chose
de différent.
Bien sur, les situations sont inversées, c'est en peignant
cette nouvelle toile que Earl risque enfin de sortir de l'anonymat alors que
(par exemple) Trans et ce qui s'en est ensuivi ne furent que des échecs ;
mais comme le disait Young lui même, concernant les actions du diable : on
ne peut savoir si les changements occasionnés seront bénéfiques ou
non.
… et la "phrase-clé" de Bandit est ici très révélatrice : "
Someday... you'll find What you're looking for"
on peut rapprocher
tout ceci de certains propos tenus par Neil : " … Si j'avais agi autrement,
si je n'avais sorti que des chefs d'œuvre, je ne pourrais pas faire ce que
je fais aujourd'hui…." (In : les Inrockuptibles 1992 … époque où l'on
n'avait pas le droit de critiquer Neil).
Si donc il y a une lecture
autobiographique de Greendale, elle semble être plus profonde, plus diffuse
et généralisée à tout l'album. Trois générations de la famille Green et trois
époques dans la carrière de Neil.
Et c'est donc peut-être un Neil qui
évoque sa carrière en filigrane sur près de 40 ans de carrière aussi bien
dans ses convictions (avec tout ce que cela entraîne comme qualités et comme
défauts), que dans son histoire musicale, d'abord par le biais des
références pour les deux premières périodes, puis par le biais de la musique
pour la dernière période.Car l'innovation, mal maîtrisée dans les années
80, puis sublimée au début des années 90 est bien là malgré les apparences,
montrant que Young est à la fois toujours le même et jamais tout à fait
identique.
De l'incroyable Sun Green au surprenant Bringin' Down Dinner
(ou pour la première fois, il introduit l'orgue à l'intérieur du Horse,
donnant une dimension superbe à ce morceau), de l'émouvant Bandit au
classique Falling from above, Neil signe, une fois de plus un disque très
particulier, unique en son genre
Double F - correspondant permanent de
téléramakuptible
PS : De plus, un testament n'est pas une fin en soi ; il
est toujours possible de l'enrichir au moyen d'un ou de plusieurs
codicilles. Et, même si Greendale est un testament absolu et définitif, Neil
n'en est plus à une volte-face
près… ---------------------------------------------------------------- To:
les-gens-ordinaires Sent: Sunday, October 05, 2003
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